Constellation | position 7 | octobre 2016    [pdf]

[Version modifiée 10 novembre 2016… qui aurait besoin d'une mise à jour en ce mois de novembre 2022  !]

« Oury disait toujours le nom d’un auteur d’un concept. Il fallait alors se plonger dans l’œuvre avec les annexes et les contextes pour avoir une petite idée du sens de ce terme au sens de Heidegger, au sens de Kierkegaard, etc... On découvrait un océan, on était tranquille, assuré de ne pas avoir le sens du dictionnaire où le cas du concept est réglé en une ligne… » (Michel Balat)

C'est sur cet océan traversé de courants que croise Ouvrir le cinéma.
Comme les marins : Faire le point et communiquer sa position.

« Le matelas des expériences »

On avance, d'une manière abductive, hypothétique, que :
Ouvrir le cinéma fomente, provoque un mouvement de déplacement à propos de ce que l'on entend communément par « cinéma » : mouvement ayant pour office d'en faire apparaître les entours. Nous entendons en cela une convocation de nos manières d'accueillir, de traduire, d'interpréter les traditions qui fondent nos discours et nos pratiques selon un processus permanent d'analyse et de mise en question. Mettre en relation nos propres expériences avec celles qui nous « portent » : repérer ce « matelas des expériences » — pour reprendre une expression de Pierre Delion.

On pourrait alors dire que nous avons choisi de nous placer dans le contexte d’une économie élargie, générale, non restreinte à celle du cinéma.
Comment s'y prendre ? Comment ne pas s'y perdre ? Comment ne pas écraser la complexité ? Comment ne pas simplifier en faisant appel en toute circonstance, comme par automatisme, à un système de pensée binaire (continu/discontinu, analyse/synthèse, ouvert/fermé, dehors/dedans, théorie/pratique…) ?
« L'erreur quotidienne et commune, écrit Michel Serres… le dualisme appelle à la bataille, où meurt la pensée neuve, où disparaît l'objet, continue-t-il… Il faudrait injecter de la paix pour y voir un peu plus clair… »

Ouvrir le cinéma, espace en vue du possible

Ouvrir occasionne une béance qui n’existe pas sans bords, sans limites. La limite, en mouvement permanent, a engendré une dynamique. Son origine est son devenir (Goethe), son existence. Elle n’est pas posée pour qu’on l’atteigne ou la dépasse en créant un dehors et un dedans (à l'instar de la frontière, par exemple), mais pour nous servir de repère. Comme l'horizon.
Multiplier les limites crée des relations nouvelles, des articulations nouvelles : s'ébauche alors une structure ouverte sous le signe du possible, de l'accueil, de la rencontre, du partage.
Se déplacer dans un espace qui ne dépend pas d'un centre (repoussant les marges), mais, en chevauchant les limites, contribuer dans notre singularité à la variation de la norme, en faire un usage mineur et non un modèle à imiter (Sauvagnargues, Deleuze).

La limite relève du rythme (Benveniste), de la « forme en formation » — ladite Gestaltung (Oury, Maldiney) —, sans « consistance organique » (Benveniste) et nous donne accès, par un saut, au domaine de la création comme à celui de la décision et de l'expérience.

[Notre] « capacité inventive n'est pas de l'ordre du jugement : elle est d'abord un rapport pratique aux choses… […] … elle est autant une connaissance qu'un affect et une action. » (Beaubois, Simondon).

En cela,
Considérer le moment pathique : « quand le sujet engagé dans l'action ou vers la chose l'éprouve selon son propre pathos » (Maldiney) : il y a, il m'arrive… Avant toute distinction sujet/objet, « Cette co-naissance au monde n'est pas d'ordre informatique, écrit Maldiney, l'expression qu'en cherche Cézanne n'est pas une représentation réglée par un code. […] code et sentir sont antinomiques. »
Antérieur à toute représentatioin, le sentir est distinct du percevoir « où existe une relation intentionnelle et oppositionnelle à l'objet perçu » (Schotte).
C'est sur cette base, par un déplacement d'une phénoménologie de la perception vers une phénoménologie du sentir (Straus, Weizsäcker), que nous apprendrons à lire les textes d'Henri Maldiney sur la dimension esthétique de l'existence.

Écrire un texte, composer un livre ou un film, mettre en place un atelier pédagogique : autant de situations singulières, autant de déplacements, autant d'ouvertures pour la pensée grâce à l'expérience pratique (Beaubois, Simondon). Ainsi se précise le lieu de la praxis (Laffitte), quand la « théorie » naît de la « pratique » pour la transformer en retour.

La théorie, selon Aristote, serait être au plus près des choses : observer et deviner tout à la fois ; elle « prend effet dans l'activité même de fabrication », loin de toute « spéculation abstraite » (Vassalli).
De pratiquants d'une pratique, nous devenons praticiens d'une praxis, c'est-à-dire sujets travaillés par la question, par la présence du sens (à distinguer de la signification) — sans cesse à interroger, à interpréter — et par la manifestation du désir inconscient (Freud, Lacan, Oury). Des sujets et non plus seulement des agents (Laffitte), des parlêtres selon l'expression de Lacan.

S'affranchir de l’agir de l’agent, de la force qui agit en poussant : laisser apparaître, éprouver, pâtir : le patient n’est pas passif mais il accueille. Il considère le contexte, l’ambiance, l’atmosphère, la Stimmung (Oury, etc…). Retrouver l’energeia grecque écartée par l’actus romain. La technè : quand l’art et la technique participaient d’une même épreuve, sagesse, savoir, prudence…
Celui (le poète) qui possède la technè produit l’oeuvre (poïesis) en accueillant la matière (Beaufret). Ainsi entendue, la technique peut devenir « un instrument réel d’exploration et de connaissance ». (Vassalli)

Produire ne rime pas toujours avec productivité, mais signifie fondamentalement, « conduire à l’être ou à l’existence » (Morin). En ce sens, la production a des affinités avec la création et l’invention.

« Une connaissance technique véritable ne doit pas classer les objets selon une finalité extrinsèque comme l'usage, mais selon une logique interne correspondant à leurs schèmes de fonctionnement. » (Beaubois, Simondon). Comment ça marche, comment ça fonctionne, pour vous  ? (Deleuze). On s'approche tout doucement de la notion de machine

Et la paix invoquée par Michel Serres ? Comment introduire le tiers exclus ?

Reprenons. À notre naissance nous plongeons dans un monde de signes. Il va bien falloir se débrouiller avec le « matelas des expériences » !

« Un signe, ou plutôt une sémiose, est un processus qui se produit, quelque chose qui a un cours, dont même la fin n'est pas directement saisissable. » (Balat, Peirce). Et pour qu'il y ait processus, cela nécessite trois positions. Il y a de la place pour le possible (possibilité de la possibilité, non simple opposé à l'impossible). Une nouvelle ouverture vers la création et l'invention.

La sémiose a une articulation triadique : le representamen (qualités perçues d'un objet) est reconnu pour signe d'un objet par le moyen d'un interprétant (Deledalle, Peirce).
La nature triadique de la relation se trouve dans le fait que l'interprétant devient le représentement du même objet pour un autre interprétant et ainsi de suite (Balat, Peirce).
La théorie triadique du signe selon Peirce, donnant accès tout à la fois à une logique, une phénoménologie, une philosophie est fondamentale pour la poursuite des investigations de Freud et Lacan sur la question du sujet (Balat, Oury).

Reconsidérer (triadiquement) nos modes (1) d'articulations entre nos connaissances (2) et ce que l’on nomme cinéma (3).

Autant de sauts, autant de limites…



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Présentation de Constellation_6 (octobre 2007)

Non pas dans un esprit de synthèse mais pour se donner des repères, servir de points d'appui en vue de lectures plus approfondies des auteurs concernés et tenter de dire aussi où nous sommes et ce que nous construisons.

Si dans la linéarité du montage les auteurs s’interrogent, se répondent et parfois se contredisent, les citations mêmes, tels des plans cinématographiques, s’ouvrent à une autre dimension du montage : l’intensité d’un rythme qui se fonde dans la marche de la pensée, à l’image du temps jaillissant dans le plan, avant même de signifier ou de raconter quoi que ce soit, toujours interrompu par les formes naissantes, instaurant la division temporelle, celle du tempus à partir du maintenant du présent, en direction du passé et du futur.

**** Notre position à l'automne 2007 ? Nous y sommes, mais toujours en mouvement…

Ouvrir, c'est multiplier les limites

Ouvrir occasionne une béance qui n’existe pas sans bords, sans limites. À la différence de la borne ou de la frontière, la limite est en mouvement constant. Elle n’est pas posée pour qu’on l’atteigne et la dépasse, en créant un dehors et un dedans mais pour nous servir de repères et user de notre liberté.

Multiplier les limites, c’est créer une dynamique interne, poser une structure qui autorise une attention à l'autre (et pas seulement une compréhension), un partage, pouvoir exister sans être enfermé (Jean Oury, Bérangère Thirioux).

On peut donc dire que nous avons choisi de nous placer dans le cadre d’une économie élargie qui serait celle d’une analyse critique de nos traditions culturelles et de nos manières de considérer les productions de l’être-homme (Gérard Granel, Karl Marx) en relation avec la construction de son monde…

Notre histoire culturelle n'est pas linéaire. Le patrimoine hérité des civilisations et des générations antérieures ne demeure pas en strates bien ordonnés et étanches. Ces matériaux forment des regroupements, des "constellations", toujours en mouvement. Leur montage brise leur chronologie.

Mais l’image est habitée par d’autres tensions temporelles : C’est Aiôn, éternel jaillissement, c’est Kairos, moment opportun de rupture et de décision qui permet dansle maintenant du présent de fonder le temps et de le diviser en époques. « En chacune d’elles, écrit le philosophe Henri Maldiney, le temps s’articule avec lui-même selon ses trois dimensions et constitue à chaque fois un nœud dimensionnel différent : Futur, Présent, Passé ».

Il devient alors possible d’envisager le montage à partir du rythme (Henri Maldiney, Émile Benvensite), de la « tension temporelle » à l’intérieur même du plan (Andreï Tarkovski) ; l’image, comme une « dialectique à l’arrêt », quand « l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair » (Walter Benjamin) et le voir, dans la « divination visuelle », comme la mise en mouvement de la « réalité encore invisible &raquo (Carl Einstein).

La pensée binaire sous-tend le montage dans sa mise en relation concertée de fragments. Les tensions temporelles du rythme dans le plan auraient-elle affaire avec la pensée trinitaire (Dany-Robert Dufour) ?

Dans cette dynamique, le regard peut venir de l'image (« L'image nous regarde », Georges Didi-Huberman), l'homme répond au langage, mais c'est le langage qui parle (Martin Heidegger), et le savoir ne relève plus d’un jeu de forces dans l'action mais d'une poétique de la présence. C'est le domaine de la naissance de l'œuvre (Jean Beaufret).

Pouvoir « être saisi » par ce qui nous arrive engage le « sentir », l' « éprouver », c'est à dire la connaissance par l'épreuve, avant le « savoir » et nous ouvre au « réel », « en cet étrange lieu désigné par le y du il y a » (Henri Maldiney), loin des codes et de l’ordre « informatique ».

Et dans le temps de l’expérience, quand ce qui nous arrive devient-il une forme ? (Georges Didi-Huberman)

Ces détours ont de quoi bouleverser notre manière de « construire nos propres outils » (Jean Oury) pour faire des images, penser le faire des images, en imaginer sa pédagogie.

Dans sa critique du dualisme platonicien (la séparation de l'âme et du corps) Umberto Galimberti nous a entraîné dans un mouvement qui passe donc par la phénoménologie (Merleau-Ponty, Maldiney, Rovatti, Didi-Huberman), par le jeune Karl Marx, tout en ayant découvert, grâce à Jean Beaufret, le berceau de la philosophie et de la phénoménologie : la pensée grecque antique. Poïesis, technè, praxis, théorie, sont dépoussiérés et retrouvent leur fraîcheur.

Parallèlement, nous nous sommes éloignés d'une psychologie traditionnelle qui limite la notion de sujet à la conscience pour aller vers la psychanalyse (Sigmund Freud, Jacques Lacan, Jean Oury, Pierre Delion) intégrant le concept de l'inconscient et la division du sujet, notamment par la distinction entre le moi, « rivé à une image » (Jacques Lacan, Jean Oury) et le je de l’inconscient. Cette orientation nous donne accès à la distinction entre image et reconnaissance (par la distinction entre narcissisme originaire et narcissisme spéculaire.

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constellation

observer, deviner, pratiquer

GENÈSE
au cours des séances
depuis le début


STYLE
à table

carnets de bord
> carnets d'annick


REPÈRES
à lire
constellation

entre nous
> jean oury

> jean-luc godard

> jean-marie straub

> georges didi-huberman

> p. j. laffitte/o. apprill


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Ceux qui composent notre Constellation, avec le temps...

Ouvrir le cinéma, ça passe par ouvrir les mots…



Constellation est la page-pivot du site  : vous allez y retrouver les notions ou concepts découverts et travaillés en permanence au sein de pratiques de formes différentes (textes, films, actions pédagogiques) mais qui sont « portées », qui fonctionnent avec des outils communs.

Composée de fragments de textes rassemblés selon un index thématique,
→ Sur le site, Constellation se présente selon une une suite de pages html, chaque page correspondant à une notion|entrée. La version_7 de cet automne 2016 totalise 47 pages html.
→ Elle est également proposée en PDF, imprimable en format Livret (64 pages).

La principale règle du jeu :
Que chaque fragment ajouté trouve ici une place à condition d'avoir déjà été en fonction au moins une fois dans une « opération » sur l'ensemble du site.
Dans la version html, un lien, en tête de chaque page d'entrée de l'index, renvoie à ce contexte initial.
Une fois intégré à Constellation, un fragment n'en sera jamais retiré (il pourra toutefois changer de place), même s'il n'est plus (ou ne semble plus) opératoire.

Bienvenue à vous !


La première version de Constellation est intégrée au compte-rendu de la [séance 10] du groupe de travail Ouvrir le cinéma (2000-2004).


Constellation 7 en format LIVRET PDF : [Ouvrez !]
Anciennes versions  : [version 6][octobre 2007] [version 5][août 2006/264 Ko] [version 4][août 2005/203 Ko] [version 3] [août 2004/176 Ko] [version 2]

Constellation 8 en html mise à jour 18 avril 2024

Prologue
La tradition, la mémoire, l’oubli

À la recherche d'une méthode
Penser à fond
Base, fondement, origine
Encyclopédie/Système
Pensée binaire, pensée trinitaire
Méthode
La limite, la structure, ouvrir
L'agencement

Produire
Savoir, sagesse, théorie, pratique
Laisser apparaître : poétique de la présence
Technè
Produire, fabriquer, créer, inventer
La machine

Parler
Langage, langue, parole
Fonction poétique

Connaître
Psychologie de la connaissance
L’ambivalence du corps
Connaître, savoir
Expliquer, comprendre
Le matelas des expériences
La communication, la rencontre
Le politique
Le mineur, le majeur, la norme

Boîte à outils (1) #métapsychologie
Construire ses propres outils
Retirer la « garde »
L’inconscient [nouveau 2024]
Le sujet, le moi : distinction
Désir, demande, besoin
L’interprétation
Interpréter, signifier
sens, signification
Le voyant

Boîte à outils (2) #sémiotique (peircienne)
La sémiotique, le signe, la relation triadique
Le possible
L’abduction
Deviner, traduire, interpréter

Boîte à outils (3) #phénoménologie du sentir
L'existence, être-homme
Pouvoir
Le pathique
Le sentir

« Qu'est-ce que je fous là ? »
Le regard
L’étonnement
Se dessaisir de son savoir : une phénoménologie du regard
Temps, tension, vision
Décision et création : le temps de l'expérience
Le rythme, la forme
Gestaltung, la forme en formation
L’espace, La surface, l’écran

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