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Gilles Deleuze, séminaire Vérité et temps, le faussaire, 2 novembre 1983, 1ere séance.
Disponible sur Webdeleuze.


I
« Je voudrais faire de la philosophie à la manière des vaches. De la rumination. Mais des exercices de rumination, ce n'est pas du yoga. Il n'y a qu’un auteur qui a su faire de la rumination, et il était grand parmi les grands, c'est Nietzsche. C'est pour ça que Nietzsche avait comme animal sacré la vache. Il disait que les vaches étaient les vaches du ciel, or la rumination, pour lui ça consistait à lancer un aphorisme et à le lire deux fois. Moi ce n'est pas au niveau d'aphorisme, parce que ce n'est pas mon truc l'aphorisme, c'est la nécessité de ruminer quelque chose. »

II
« Il se trouve que l'année dernière, et c'est la moindre des choses, c'est pourquoi j'éprouve le besoin de me justifier auprès de vous, c'est la moindre des choses, que depuis tant d'années je change de sujet chaque année. Et c'est comme, même pas un point d'honneur, c'est la condition de tout professeur. Il change de sujet chaque année. Et quand on nous reproche, si on veut changer de sujet ça exige beaucoup beaucoup de préparation. C'est ce que j'ai fait jusqu'à maintenant. Et l'année dernière je suis tombé sur un truc auquel moi je ne croyais pas. J'ai parlé beaucoup de cinéma, mais ce que j'avais dans la tête ce n'était pas le cinéma, pourtant j'en ai beaucoup parlé. Ce que j'avais dans la tête c'était une classification des signes, tous les signes du monde. Et plus j'avançais, plus je me disais- vous supprimez tout ce qu'il y a d'orgueilleux dans ce que je dis, c'est pour aller plus vite-, plus j'avançais et plus j'avais l'impression de tenir quelque chose. Et comme j'étais en même temps préoccupé par le cinéma, que je découvrais, j'allais trop vite, je lâchais des trucs, je ne développais pas, il y avait des trucs que je laissais tomber. Tout ça. Et finalement ç'était ça qui m'intéressait, moi ! Ceux qui était là ce qui les intéressait c'était peut-être ce que j'avais à dire sur le cinéma. A la fin de l'année dernière j'avais l'impression d'avoir frôlé quelque chose d'important pour moi, et d 'être un peu passé à côté. Et pourtant je me dis, toujours me parlant à moi-même, que si j'y arrive, à cette classification des signes, évidemment ça ne va pas changer le monde, mais ça va me changer moi, ça me fera tellement de plaisir. C'est ça ce que je veux.

III
« … quand quelqu'un parle l'auditeur peut très bien croire que ça va de soi. Très bizarrement, dans mon expérience, mais inversement aussi, quand vous croyez que quelque chose va de soi, pour moi, au contraire, ça fait problème, il y a quelque chose que j'essaie de cacher, qui n'est pas au point du tout. Et inversement, quand vous vous avez le sentiment que ça ne va pas de soi, que là, il y a quelque chose où je passe trop vite, pour moi c'est que ça va tellement de soi et que c'est tellement facile, alors c'est par là qu'un dialogue peut s'engager qui n'est pas sur le mode classique. C'est que c'est ni vous ni moi qui avons raison, vous comprenez ? Ce n'est pas moi qui ai raison quand je dit : ceci pour moi va de soi, et ceci ne va pas de soi ! Et pour vous c'est l'inverse. Mais ça veut dire quelque chose de très important, ça. De toutes manières des gens ne peuvent s'écouter, les uns ne peuvent écouter quelqu'un, c'est là la seule égalité de celui qui parle et de ceux qui écoutent, les gens ne peuvent s'écouter les uns les autres, que s'ils ont un minimum d'entente implicite, c'est à dire
une manière commune de poser les problèmes. Si on ne pose pas les problèmes de la même manière, ce n'est pas la peine de s'écouter, c'est comme si l'un parlait chinois et l'autre anglais, sans savoir les langues. C'est pour ça que je n'ai jamais considéré qu'un étudiant avait tort s'il ne venait pas m'écouter. On ne peut venir m'écouter que si on a, par soi-même, par un mystère qui est l'affinité, une certaine manière commune de poser les problèmes. Il se peut très bien qu'au bout de deux fois vous vous disiez : mais de quoi il nous parle ce type là ? Si vous avez ce sentiment, ça ne veut rien dire ni contre moi ni contre vous. Ca veut dire, pour employer un mot compliqué, que vos problématiques à vous ne passent pas par les miennes. Quand on dit que les philosophes ne sont jamais d'accord, ç'est une chose qui m'a toujours frappé parce que je crois que la philosophie, beaucoup plus que les sciences, est une discipline de la cohérence absolue. Quand on dit que deux philosophes ne sont pas d'accord, ce n'est jamais parce qu'ils donnent deux réponses différentes à une même question, c'est parce qu'ils ne posent pas le même problème. Seulement comme on ne peut jamais dire le problème qu'on pose, je ne peux pas à la fois résoudre quelque chose, et dire le problème que je suis en train de résoudre. C'est deux activités différentes. Donc le problème c'est toujours l'implicite. J'aurais beau dire, en gros, voilà quel est le problème, il faudra toujours que vous sentiez quelque chose au-delà, et ce sentir quelque chose au-delà c'est ça qui fait que des gens s'entendent ou ne s'entendent pas. Donc si on n'a pas une manière un peu commune de poser les problèmes, alors rien. »


Sigmund Freud, Inhibition, symptôme et angoisse, 1926, Puf, 1993, p. 3-5, Œuvres complètes ou coll. Quadrige.
Accès à la V.O.


Notre usage de la langue nous amène à différencier, dans la description de phénomènes pathologiques, des symptômes et des inhibitions, mais il n'attribue pas beaucoup de valeur à cette différence. Si ne se présentaient pas à nous des cas de maladie dont il nous faut bien dire qu'ils montrent seulement des inhibitions et pas de symptômes, et si nous ne voulions pas savoir quelle est la condition pour cela, nous aurions à peine intérêt à délimiter l'un par rapport à l'autre les concepts d'inhibition et de symptôme.

Ces deux concepts n'ont pas poussé sur le même terrain.
Inhibition a une relation particulière avec la fonction et ne signifie pas nécessairement quelque chose de pathologique, on peut aussi nommer une restriction normale d'une fonction : inhibition de celle-ci. Symptôme au contraire ne veut rien dire d'autre qu'indice d'un processus morbide. Une inhibition peut donc être aussi un symptôme. L'usage de la langue procède donc de telle sorte qu'il parle d'inhibition là où on est en présence d'un simple abaissement de la fonction, de symptôme là où il s'agit d'une modification inhabituelle de celle-ci ou d'une nouvelle opération. Dans bien des cas, il semble laissé à l'arbitraire de décider si l'on veut mettre l'accent sur le côté positif ou sur le côté négatif du processus pathologique, désigner son succès comme symptôme ou comme inhibition. Tout cela n'est vraiment pas intéressant et la façon de poser la question, qui fut notre point de départ s'avère peu féconde.

L'inhibition étant, du point de vue conceptuel, si intimement rattachée à la fonction, on peut avoir l'idée d'examiner les diverses fonctions du moi en vue d'observer sous quelles formes leur perturbation se manifeste dans chacune des affections névrotiques. Nous choisissons pour cette étude comparative : la fonction sexuelle, l'alimentation, la locomotion et le travail professionnel. […] Nous pourrions étendre cette vue d'ensemble à d'autres fonctions, mais nous ne saurions nous attendre par là à obtenir davantage. Nous n'irions pas au-delà de la surface des manifestations. Décidons-nous pour cette raison en faveur d'une conception qui ne laisse plus grand-chose d'énigmatique au concept d'inhibition. L'inhibition est l'expression d'une restriction fonctionnelle du moi qui peut elle-même avoir des causes très diverses.


Giorgio Agamben, « Introduction », in Walter Benjamin, Baudelaire, éditions La Fabrique, 2013. [Ouvrez !]

« Benjamin distingue dans son travail la phase de la documentation et celle de la construction. Espagne et Werner, qui ont attiré l'attention sur cette distinction, ont raison d'observer qu'elle ne doit pas être entendue comme une “division chronologique entre deux phases de travail”, mais comme “une distinction systématique entre deux manières de travailler fondamentalement différentes qui, du point de vue chronologique, avancent de manière parallèle”. Et de fait, Benjamin possédait parfaitement la distinction proposée par Marx entre “mode de la recherche” (Forschungsweise) et “mode de l'exposition” (Darstellungsweise). Il la cite expressément dans la section N des Passagen : “La recherche doit s'approprier des matériaux dans les détails, elle doit analyser les différentes formes de son développement (Entwicklungsformen) et en retracer l'articulation intérieure (inneres Band). Ce n'est qu'une fois que ce travail a été mené à bien que le mouvement réel peut être exposé de manière convenable. Si cela marche, si la vie du matériel (das Leben des Stoffs) se présente de manière idéalement réfléchie, on peut croire alors qu'on a affaire à une construction a priori” » (p. 13-14).

« Cela permet [en outre] de mettre en perspective ce “montage littéraire” que Benjamin a pu identifier comme la méthode la plus propre à son travail […]. Il ne s'agit pas tant, comme a pu le penser Adorno, de “ne laisser apparaître les significations qu'à travers un montage choquant (schokhafte Montage) des matériaux”, ou d'écrire une œuvre qui ne serait “faite tout entière que de citations” : il s'agit, en mettant la dispositio au centre du processus de la composition, de permettre aux formes de développement et au lien interne contenus dans les matériaux philologiques, de conduire à la rédaction par la seule force de leur construction. » (p. 16).

Walter Benjamin, cité par Giorgio Agamben, « Introduction », in Walter Benjamin, Baudelaire, éditions La Fabrique, 2013. Réponse à Theodor W. Adorno lui reprochant « d'avoir omis la médiation par la théorie et d'être resté ainsi empêtré dans une “exposition étonnée de la pure factualité” »

« Je pense que la spéculation ne prend son vol, et un vol nécessairement audacieux vers une certaine réussite, que si, au lieu de mettre les ailes de cire de l'ésotérique, elle cherche dans la construction seule sa source d'énergie. La construction voulait que la seconde partie du livre soit faite essentiellement d'un matériau philologique. Il s'agit là moins d'une “discipline ascétique” que de dispositions méthodologiques. […]
Lorsque vous parlez d'une “présentation étonnée de la factualité”, vous caractérisez l'attitude philologique dans sa vérité. Il fallait l'insérer dans la construction, non seulement pour les résultats qu'elle donne, mais justement pour ce qu'elle est. […] L'apparence de factualité close sur elle-même, qui s'attache à l'étude philologique et qui envoûte le chercheur, disparaît dans l'exacte mesure où l'on construit l'objet dans la perspective historique. Les lignes de fuite de cette construction confluent à l'intérieur de notre propre expérience historique. L'objet se constitue ainsi comme monade. Dans la monade, tout ce qui, au terme de l'analyse du texte, s'établit dans une rigidité mythique, prend vie. » (p. 17)


Gilles Deleuze, Le Bergsonisme, Puf, 1968, p. 3-4.

« Nous avons le tort de croire que le vrai et le faux concernent seulement les solutions, ne commencent qu’avec les solutions. Ce préjugé est social (car la société, et le langage qui en transmet les mots d’ordre, nous “donnent” des problèmes tout faits, comme sortis des “cartons administratifs de la cité”, et nous imposent de les “résoudre”, en nous laissant une maigre marge de liberté). Bien plus, le préjugé est infantile et scolaire : c'est le maître d'école qui “donne” des problèmes, la tâche de l’élève étant d'en découvrir la solution. Par là nous sommes maintenus dans une sorte d’esclavage. La vraie liberté est dans un pouvoir de décision, de constitution des problèmes eux-mêmes : ce pouvoir, “semi-divin”, implique aussi bien l’évanouissement des faux problèmes que le surgissement créateur des vrais. « La vérité est qu’il s‘agit, en philosophie et même ailleurs, de trouver le problème et par conséquent de le poser, plus encore que de le résoudre. Car un problème spéculatif est résolu dès qu’il est bien posé. J’entends par là que la solution en existe alors aussitôt, bien qu’elle puisse rester cachée et, pour ainsi dire, couverte : il ne reste plus qu’à la découvrir. Mais poser le problème n’est pas simplement découvrir, c’est inventer. La découverte porte sur ce qui existe déjà, actuellement ou virtuellement ; elle était donc sûre de venir tôt ou tard. L’invention donne l’être à ce qui n’était pas, elle aurait pu ne venir jamais. Déjà en mathématiques, à plus forte raison en métaphysique, l’effort d’ invention consiste le plus souvent à susciter le problème, à créer les termes en lesquels il se posera. Position et solution du problème sont bien près ici de s’équivaloir : les vrais grands problèmes ne sont posés que lorsqu’ils sont résolus » ». [La citation de Bergson est extraite de La Pensée et le mouvant]

(Page créée il y a très longtemps, en l'état le 12 octobre 2025 et en devenir…)

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