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« Actualité de Pier Paolo Pasolini » (2012- ?)


Sur le tournage d'Accattone

Un enregistrement perdu, récemment retrouvé est l'événement qui a motivé la création de cette page.

Quelques jours avant son assassinat, Pasolini est à Stockholm, à l'occasion de la traduction de son recueil de poésies Le Cenere di Gramsci.
Il s'entretient avec des critiques suédois.
Sur le site de l'hebdomadaire italien L'Espresso on peut écouter cet enregistrement et en lire une transcription en italien.
Nous en donnons ici une traduction française.
Un article du Next Magazine de Libération revient sur ce document (29.12.2011)

Nous allons en extraire les passages qui concerne ce qu'on appelle en italien le Consumismo, traduit abusivement dans l'article de Libération par Consumérisme. Il n'y a pas de mot, en effet en français pour dire ce qui relève de la Société de consommation — la consommation comme fin (Lire l'article de Wikipedia). Faute de mieux, c'est cette expression — société de consommation — que nous avons adoptée dans notre traduction
.

Sur le même thème, un article, paru comme « tribuna aperta » — on dirait en français : tribune libre —, le 1er février 1975, dans le Corriere della sera, p. 1 et 2. Il sera suivi le lendemain d'une autre tribuna aperta, signée Giuglio Andreotti, intitulée «Non è mai esistito un regime democristiano » — Un régime démocrate-chrétien n'a jamais existé, p. 1 et 2.
Des années plus tard, viendra le mea culpa de G.A. [à lire !]

Ce texte sera repris dans «Scritti corsari » — « Écrits corsaires » sous le titre : « L'articolo delle lucciole » —  L'article des lucioles.

C'est au moment de la publication par Georges Didi-Huberman de Survivance des lucioles (2009), que je suis retournée vers cet article. Je voulais comprendre un peu mieux l'analyse de GDH.
Dans cet article donc, Pasolini annonce très vite qu'il va « définir de manière poético-littéraire » le phénomène dont il va parler, « cela servira a simplifier et à abréger notre propos (à mieux le comprendre aussi, probablement). » À distance, est-ce si sûr ? D'où l'intérêt de relire les mots de PPP en reprenant le titre pour sa publication première. J'ignore qui avait choisi ce titre : la rédaction du Corriere ? Une proposition de PPP ?
En tout cas, dégagé de la métaphore, l'article prend des résonances surprenantes aujourd'hui. Christian Salmon fait appel à cet article, avec son titre initial, dans une de ses chroniques pour Mediapart, « Démocratie, état d'alerte » du 31 mars 2013.
(février 2012-avril 2013)

Des possibilités du signe
Le titre d'un texte, d'un livre, d'un article de presse, d'un film (etc.) est souvent le premier signe qui vient à notre rencontre  avant d'y aller plus avant dans la découverte d'un texte, d'un livre (etc).
En ce qui concerne ce texte-ci de PPP, c'est l'écart institué, par le titre, entre les deux publications d'un même contenu qui stimule ma curiosité et me pousse à l'action (en savoir davantage). Me vient cette idée, qu'il faut prendre comme une hypothèse abductive [->], car, sur l'instant, je ne sais même pas ce que je dis en le disant, mais je l'ai pensé  : dans le titre retenu pour la publication dans les Écrits corsaires, il y aurait comme une esthétisation du politique (du et non de la).
C'est pour cela que je trouve vraiment dommage (en italien : è un peccato — no comment ! NDR) qu'un blog [->] reprenne la traduction ici présente en gommant, par manque d'attention et de rigueur, cet écart entre les deux titres et intitule son billet : Le vide du pouvoir en Italie (Écrits corsaires).
(24 février 2015. À suivre…)

Entretien de Stockholm (30 octobre 1975), Pier Paolo Pasolini

Lire toute la traduction [Ouvrez !]

Extraits
I
En Italie il s'est passé une révolution, une révolution fondamentale… la première dans l'histoire italienne.

Les grands pays capitalistes ont connu au moins quatre ou cinq révolutions dont la fonction a été d'unifier le pays. Il y a eu l'unification monarchique, la révolution luthérienne réformiste, la révolution française bourgeoise et la première révolution industrielle.

L'Italie, par contre, sa première révolution a été la révolution de la seconde industrialisation, c'est-à-dire celle de la société de consommation (consumismo).
Et cela à radicalement changé la culture italienne sur le plan anthropologique. Vous l'avez remarqué tout à l'heure : auparavant, la différence entre un ouvrier et un bourgeois était pratiquement comme une différence entre deux races. À présent, cette différence a quasiment disparu.

Et c'est la culture paysanne qui a été la plus détruite par cette révolution de la société de consommation. Auparavant, la culture paysanne italienne était catholique.
Depuis, le Vatican n'a plus derrière lui cette énorme masse de paysans catholiques. Les églises sont vides. Les séminaires sont vides. Si tu viens à Rome, tu ne verras plus ces rangs de séminaristes marchant dans la ville.
Aux deux dernières élections, c'est le vote laïque qui a triomphé.

Et les marxistes aussi ont été changés par cette révolution.
Ils ont été changés anthropologiquement car il vivent d'une autre façon, selon une autre qualité de vie, avec d'autres modèles culturels., etc… Et ils ont aussi été transformés idéologiquement.

Ils ont changé comment ? Est-ce qu'on peut être marxiste et “consomiste” (sic) simultanément ?

Oui, c'est là qu'est la contradiction : Tous ceux qui se disent ouvertement marxistes, ou qui votent en tant que marxistes, sont en même temps dans la société de consommation (consumisti)
Mais ce n'est pas tout : même le Parti communiste a accepté cette évolution (sviluppo).
À présent, il s'apprête même à intervenir dans cette évolution pour la changer. Mais, en substance, il l'a acceptée.

II
Vous savez, par exemple, les extrémistes italiens, ils jettent des bombes, et puis le soir ils regardent à la télévision Canzonissima, ou Mike Bongiorno.

La société de classes est toujours là, n'est-ce pas ?

Ah oui ! Les classes sont toujours là ! Mais l'originalité de ce moment en Italie, c'est que la lutte des classes existe au niveau économique, mais plus au niveau culturel.
La différence entre un bourgeois riche et un ouvrier est économique mais il n'y a plus de différence culturelle entre les deux.

III
Je considère la société de consommation, comme un fascisme bien pire que ce fascisme classique ! Parce que le fascisme… le clérico-fascisme italien, en réalité, n'a pas transformé les italiens : il n'est pas entré en eux. Il a été totalitaire mais non totalisant.

Je vous donne un seul exemple.
Le fascisme a tenté, pendant les vingt ans qu'il a été au pouvoir, de détruire les dialectes. Il n'y est pas arrivé, même un tout petit peu, même d'une façon infinitésimale !
Au contraire, le pouvoir de la société de consommation (potere consumistico) qui dit vouloir conserver les dialectes, est en train de les détruire complètement.

IV
À quoi est dû le chaos ?

À la crise de croissance de l'Italie qui, rapidement, en 5/6/7 années est passée de pays sous-développé à pays développé.
Ce serait comme prendre un famille pauvre et la rendre soudainement milliardaire.

[retour]

Le vide du pouvoir en Italie (1 février 1975), Pier Paolo Pasolini

Lire toute la traduction [Ouvrez !]

Extraits
I
Mais, il y a une dizaine d’années, « quelque chose » est arrivé. « Quelque chose » qui n'était pas auparavant, qui n’était pas prévisible, non seulement à l’époque du Politecnico, mais un an même avant que cela n'arrive (ou carrément, comme on le verra, pendant que cela arrivait). 

La confrontation réelle entre les « fascismes » ne peut donc être « chronologiquement », entre le fascisme fasciste et le fascisme démocrate-chrétien, mais entre le fascisme fasciste et celui, radicalement, totalement et imprévisiblement nouveau, né de ce « quelque chose » survenu il y a une dizaine d'années.

Comme je suis écrivain, que dans mes écrits je polémique ou, tout au moins, je discute avec d’autres écrivains, que l’on me permette de définir d'une manière poético-littéraire ce phénomène survenu en Italie, il y a environ dix ans. Cela servira à simplifier et à abréger notre propos (à mieux le comprendre aussi, probablement).

Au début des années 60, à cause de la pollution atmosphérique et, surtout, à la campagne, à cause de la pollution des eaux (fleuves d’azur et canaux transparents), les lucioles ont commencé à disparaître. Le phénomène a été fulminant, foudroyant. Au bout de quelques années, c'en était fini des lucioles. (Elles sont aujourd'hui un souvenir quelque peu poignant du passé : qu'un vieil homme s'en souvienne, il ne peut se retrouver tel qu'en sa jeunesse dans les jeunes d'aujourd'hui, et ne peut donc plus avoir les beaux regrets d’autrefois). 

Ce «quelque chose» survenu il y a une dizaine d’années, je l'appellerai donc «disparition des lucioles ».

II
Le traumatisme italien du contact entre l'« archaïcité » pluraliste et le nivellement industriel n'a peut-être qu'un seul précédent : l'Allemagne d'avant Hitler. Là aussi, les valeurs des différentes cultures particularistes ont été détruites par la violente homologation de l'industrialisation : d'où la formation en conséquence de ces énormes masses qui ne sont déjà plus anciennes (paysannes, artisanes) mais pas encore modernes (bourgeoises), et qui ont constitué le sauvage, l'aberrant, l'imprévisible corps des troupes nazies. 

En Italie, il est en train de se passer quelque chose de semblable : avec une violence d'autant plus grande que l'industrialisation des années 60/70 constitue une « mutation » décisive même par rapport à celle de l'Allemagne d'il y a cinquante ans. Nous ne faisons plus face, comme tout le monde le sait désormais, à des « temps nouveaux », mais à une nouvelle époque de l'histoire humaine, de cette histoire humaine dont les échéances sont millénaristes. Il était impossible que les Italiens réagissent de pire manière à ce traumatisme historique. Ils sont devenus (surtout dans le Centre-Sud) en quelques années un peuple dégénéré, ridicule, monstrueux, criminel — il suffit de descendre dans la rue pour le comprendre. Mais, naturellement, pour comprendre les changements des hommes, il faut les aimer. Moi, malheureusement, ce peuple italien, je l'avais aimé, aussi bien en dehors des modèles du pouvoir (au contraire d'ailleurs, en opposition désespérée avec eux) que des modèles populistes et humanitaires. Il s'agissait d'un amour réel, enraciné dans ma façon d'être. J'ai donc vu avec «  mes sens » le comportement conditionné du pouvoir de la société de consommation remodeler et déformer la conscience du peuple italien, jusqu'à une irréversible dégradation. Quelque chose qui n'était pas arrivé durant le fascisme fasciste, période au cours de laquelle le comportement était totalement dissocié de la conscience. En vain, le pouvoir « totalitaire » réitérait, réitérait sans cesse ses diktats comportementaux : la conscience n'y était pas impliquée. Les « modèles » fascistes n'étaient que des masques à mettre et à retirer. Quand le fascisme fasciste est tombé, tout est redevenu comme avant. On l'a vu aussi au Portugal : après quarante années de fascisme, le peuple portugais a célébré le 1er mai comme si le dernier l'avait été l'année d'avant. 

III
Il y a, en réalité, aujourd'hui en Italie un dramatique vide du pouvoir. Mais nous y voilà : pas un vide de pouvoir législatif ou exécutif, pas un vide de pouvoir dirigeant, ni, pour finir, un vide de pouvoir politique,en un quelconque sens traditionnel. Mais un vide de pouvoir en soi.

Comment en sommes-nous arrivés à ce vide? Ou, mieux, « comment les hommes de pouvoir en sont-ils arrivés là » ?

L'explication, encore une fois, est simple : les hommes de pouvoir, démocrate-chrétiens, sont passés de la « phase des lucioles » à celle de la « disparition des lucioles » sans s'en apercevoir. Si proche de la criminalité que cela puisse paraître, leur inconscience sur ce point a été absolue : ils n'ont pas soupçonné le moins du monde que le pouvoir, qu'ils détenaient et qu'ils géraient, ne subissait pas simplement une évolution « normale », mais qu'il était en train de changer radicalement de nature.

IV
De ce « pouvoir réel », nous nous faisons des images abstraites et, au fond, apocalyptiques : nous ne savons pas nous figurer « quelles formes » il emprunterait en se substituant directement aux domestiques qui l’ont pris pour une simple « modernisation » de techniques. Quoi qu'il en soit, en ce qui me concerne (si cela représente quelque intérêt pour le lecteur), soyons clair : moi, et même si c'est une multinationale, je donnerai toute la Montedison pour une luciole.

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