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[Enseigner avec le cinéma. Rencontre avec la pédagogie institutionnelle]

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II-2.Les points de repères théoriques

>>>LA RENCONTRE COMME MOYEN DE CONNAISSANCE

Pour qu’une culture commune puisse voir le jour au sein de la classe, que le sens intime à chacun ne soit pas étouffé, que les opérateurs puissent opérer, bref pour qu’il y ait du collectif et non simplement du social, que les élèves ne soient pas seulement des acteurs, des agents mais des sujets, à quoi encore devons nous encore être attentifs ?

On se souvient que sur la question du mouvement, à partir des remarques de Pierre Johan Laffitte nous nous sommes orientés vers la notion de rythme. Le mouvement n’est plus considéré comme la qualité d’un mobile mais comme une sorte de fonction qui rendrait possible, qui permettrait que quelque chose advienne, se manifeste. Il y aurait différence, mais sans déplacement de quelque chose, sans action d’une chose sur une autre : un rythme, une dynamique, né de la mise en présence, de la rencontre, du hasard de la rencontre.

Cela ne me semble pas très éloigné, et j’ai envie de faire le lien, avec la connaissance par familiarité telle John Grote la désigne. Cette connaisssance, « plus proche de la communication phénoménale ou corporelle », dit-il.

Mais aussi,

« La rencontre c’est quelque chose qui est, comme le dit Lacan, de l’ordre de la tukè, c’est-à-dire du hasard, mais d’un hasard de rencontre qui va modifier quelque chose. Cela touche le réel, fait un sillon qui ne s’effacera pas. Une rencontre c’est aussi bien rencontrer quelqu’un, qu’une ambiance, des entours, un texte, une idée. Si l’on veut être efficace, on doit favoriser quelque chose de l’ordre de la rencontre. »
Jean Oury, « Le pré-pathique et le tailleur de pierre », Chimères, Les enjeux du sensible, n°40, automne 2000.

La notion de rencontre n’est pas à proprement parler lié à la Pédagogie et à la Psychiatrie institutionnelle. Elle est commune à de nombreuses pensées liées à la phénoménologie et à la psychanalyse.

Il se passe quelque chose : non pas quelque chose qui passe, qui se déplace, mais je suis pris dans l’événement de la rencontre qui « fait sens » pour moi et me change au plus profond de moi-même. On a vu que c’est à cette condition qu’on peut dire qu’il y a du collectif dans une relation de groupe.

« C’est le temple qui fait resplendir le paysage »

Pour comprendre davantage ce dont il est question lorsque l’on n’envisage plus le mouvement en terme d’action « qui “pousse” (agit) droit devant elle » selon les termes de l’enseignant de philosophie qu’a été Jean Beaufret, il nous faut faire un détour, revisiter la pensée grecque antique.

Il nous faut d’abord accepter d’abandonner un mode de penser que nous ne remettons jamais en question tant il nous semble naturel, celui qui établit entre les choses des rapports de type causal : entre un agent (qui agit) et un patient (qui subit).

Nous oublions déjà que l’association de ces deux termes (agent et patient) manifeste, révèle, nos deux traditions culturelles : « agent » est d’origine latine, romaine (agere, actus) et dans « patient », résonne très fort le pathos grec.

Acceptons que l’on pourrait penser notre relation aux choses, au monde, aux êtres, selon un autre type de mouvement, de sens, que celui de la cause vers l'effet. Mais en terme de présence, de rencontre.

On entre dans le monde grec.

Jean Beaufret nous avertit que nous n’avons pas accès à une connaissance véritable du monde de penser grec mais plutôt à sa romanisation. La culture romaine ferait écran sur certains éléments de la culture grecque.

Et cela passe par la traduction de la langue.

Le philosophe consacre tout un chapitre d’un de ses livres à la traduction du terme grec energeia en latin actus (Dialogue avec Heidegger, I, philosophie grecque, Minuit, 1973)

« Actus » est lié au monde romain qui agit sur, qui impose son pouvoir, sa force, Alors que l’energeia grecque « agit » par la présence, en laissant apparaître, en laissant venir, en révélant. Il n’y a rien qui circule, qui passe entre les deux éléments, ou les personnes en présence. C’est ça le premier sens de poïesis : ce qui produit en laissant apparaître, laissant venir, en révélant. Par exemple quand le marbre rencontre la lumière du soleil ou le ruissellement de la pluie, cela va mettre en évidence, une « tendance », un « désir » de la matière-marbre :

« …étant blancheur, il ne “demande” aussi qu'à briller sous le soleil, ou, étant dureté, il ne “demande” enfin qu'à s'opposer à la pénétration de la pluie. » […]

« L'œuvre d'art n'est pas l'imposition d'une forme à une matière inerte, mais plutôt l'éclosion corrélative d'un monde [techne] et d'une terre [phusis]; le temple n'est en lui-même que sur sa terre qui sans lui ne serait qu'un morceau de planète. La Grèce sans le temple serait, dit Focillon, un “lumineux désert”, et non la manifestation proprement “poétique” de ce qu'elle est au plus profond d'elle-même. »

Jean Beaufret, Leçons de philosophie 1

« Le temple institue un monde qui fait paraître la terre » et réciproquement « c’est le paysage qui fait resplendir le temple »
Martin HeideggerChemins qui ne mènent nulle part, cité par Jean Beaufret, Leçons de philosophie 1, Édition établie par Philippe Fouillaron, Seuil, Traces écrites, 1998, p.139, 143-144.

Jean Beaufret montre qu’en traduisant également le terme grec (poïoun) par agent,« donc y avoir introduit par avance le poussement de l’agere latin, c’est être sorti d’Aristote. Que fait donc le  ? En réalité il ne “fait rien” ! Aristote dit : son œuvre consiste “à rendre semblable à lui le ‘patient’”. Loin de“ pousser ” quoi que ce soit, il amène plutôt vers lui ce qui en était primitivement distant.[…] L’ “œuvre”, comme on dit, “vient”. »

Il y a là tout un travail à faire, pour repenser notre relation au cinéma, qui est de retrouver les sens fondamentalement grecs de techne, poiesis, travail qui a déjà commencé dans le cadre d’Ouvrir le cinéma.

Mais revenons à la pédagogie. En quoi sommes-nous concernés par une attention à un type de relation qui ne soit pas causal, à un mouvement qui ne relève pas du pouvoir, de la force mais d’une energeia, d’une dynamique, d’une mise en présence révélatrice ?

Notre système d’accès à la connaissance sépare traditionnellement la recherche de la transmission des savoirs. Même si de temps à autre, ici ou là, cet état de fait est battu en brèche, il demeure et se maintient tel que le décrivait Jean-François Lyotard, dans la Condition post-moderne (« écrit de circonstance », « rapport sur le savoir dans les sociétés les plus développées » destiné au Conseil des universités auprès du gouvernement du Québec, publié au Seuil en 1979).

Spécialement en France (paraît-il), on a tendance à distinguer la production de savoir (réservé à la recherche) de la transmission (la tâche de l’enseignement). Traditionnellement, on enseigne ce qu’on sait et l’on transmet ce savoir. Traditionnellement donc, c’est une question de vases communicants (le mouvement comme mobile).

À la lumière de ce que nous avons repéré dans la pensée grecque sur la fonction de l’energeia, comme mouvement-dynamique, mouvement-rythme, révélant dans la présence, dans le moment de l’événement la tendance, le désir propre de la matière, est-il possible d’envisager, de regarder la vie de la classe habitée par cette energeia ?

Il est peut-être temps de quitter la « classe-machine » chère à Freinet qui, tout en nous obligeant à remettre en question notre système éducatif actuel, conserve la métaphore énergétique, thermo-dynamique, d’une chose qui agit en poussant.

Pouvons-nous envisager une « classe-révélateur » ? Quand la Pédagogie institutionnelle considère l’élève dans sa singularité de sujet, — sans le limiter à sa fonction d’acteur, d’agent au sein d’un groupe social —, cherchant à créer du collectif, ne peut-on pas dire que l’on renoue avec une certaine manière grecque ?

L’enseignement se met à marcher sur deux jambes : en transmettant (l’action), en laissant venir (pour ceux que le terme « révélation » pourrait effrayer) et permettre à l’élève de devenir ce qu’il est. Le débat d’il y a quelques années autour de « l’élèveaucentre » prend ainsi une autre tournure…

LES LIENS DE L'ATELIER AVEC LA PI

À la cinquième séance, j’ai mis les élèves en présence d’images que beaucoup d’adultes estimeraient déconcertantes et refuseraient certainement de voir.
Sur un écran déplié devant le tableau noir, ils ont visionné (vidéoprojection) les quarante premières minutes d’un essai filmique (Étude 1, 2002, [Voir !]) que j’ai réalisé dans le cadre d’un travail du groupe Ouvrir le cinéma, à partir d’un questionnement autour de Lumière/absence. Ce film, composé de très longs plans séquences, s’ouvre par dix minutes d’un blanc sonore (j’ai fait un zoom dans un nuage depuis la fenêtre d’un appartement dans un petit bourg toscan, un matin de pluie).

Je n’ai pas vraiment eu le sentiment de prendre des risques car ce film me semblait assez bien « coller » avec la question de l’image telle que nous l’appréhendions, et dans la classe on a pu sentir, je crois, du collectif.

Ce film ne s’adresse pas exactement à un spectateur de cinéma tel que nous l’envisageons habituellement. J’ai donc « adapté » les conditions de la projection à une situation de travail, avec des enfants de 10 ans, en classe. J’ai pensé qu’il fallait trouver le moyen de concentrer leur attention sur les images et les sons tout en leur faisant accepter, « corporellement », une immobilité obligée, due à la vidéoprojection en classe et non en raison du film qui réclame, au contraire, une certaine liberté de mouvement pour qui le regarde (un voyant plutôt qu’un spectateur ? mais ceci est une autre histoire…)

J’ai donc imaginé de leur proposer d’écrire, ou de dessiner, en cours de projection. Cela eut l’effet espéré : un grand calme, un grand silence dans la classe plongée dans la pénombre. De la concentration, de l’attention, de l’energeia, des appels de regards vers Jean-Charles quand la première feuille blanche distribuée se révélait insuffisante pour déposer les mots suscités par la proximité des images.

A ma grande surprise, ils réclameront le même dispositif pour les deux courts films montrés lors de la sixième séance : Labirinto di vetri rotti, réalisé en 2001, à partir de la « mise en espace » d’une œuvre de Claudio Parmiggiani, par le collectif (!?) « Artistes et Associés » et Notes on the Circus, de Jonas Mekas (1966).

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