Quelques précisions sur le vocabulaire usité par Deleuze s'imposent. On ira les chercher notamment dans son ouvrage, Le Bergsonisme (1968).
Par ailleurs,
on fera des liens, on mettra en relation ce qui se travaille ici, avec En silence, avec d'autres fils de penser déjà amorcés sur le site. La petite machine « Ouvrir le cinéma » est mise en marche…
En construction le 19 août 2025…
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en silence
numérique couleurs, 7'10, 2016.
réalisation (image, son, montage) : Annick Bouleau
Production : Ansedonia (c)
Pour faire un lien vers ce film :
http://ouvrirlecinema.org/pages/mon-coin/ab/filmo/ensilence.html
Clic sur l'image pour accéder au film. Pour accès au travail de Doris Schlaepfer, cliquez ICI
I
Ici, que se passe-t-il, en silence ? Ici, c'est-à-dire dans l'enregistrement filmé (image et son) de ces quelques minutes de quelqu'un qui peint, quelqu'un au travail que vous regardez depuis votre ordinateur.
L'enregistrement filmé, est la trace de la présence d'un appareil enregistreur (ici, un téléphone) tenu en main par un autre être humain.
Alors, dans le visionnement de cet enregistrement, nous allons assister à une interférence de décisions… Un film, comme une rencontre de décisions, d'hétérogénités…
Elle, Doris, dans sa fonction, dans sa praxis de peintre, avec son pinceau et son crayon noir, dans les allers-retours incessants de son regard — toile blanche-toiles d'araignée —, quelque chose se décide : poser : que ce soit le regard ou l'instrument graphique. Va et vient virevoltants entre les toiles…
Avant le jour de cet enregistrement, combien de décisions ont été prises ! La toile blanche est déjà bien tachée, occupée, graphée, colorée…
Et moi, en ce jour, je l'accompagne. Je prends quelques photos. Doris me demande : tu filmes ? Et je lui réponds que non, que je fais des photos. Désormais, on ne sait plus, on ne peut plus deviner ce que fait cet autre quand il dirige sur vous une optique, tant la technique a multiplié ses potentialités…
Oui, je m'étais dit que je ne ferai que des photos, que je n'ai pas le courage de filmer, parce que filmer m'engage d'une autre façon, beaucoup plus forte et dévorante. J'étais bien avec Doris, à l'accompagner dans ce domaine qui ressemble à un impressionnant village abandonné. J'avais simplement envie de jouir de cet instant d'existence. Dehors, la lumière de fin d'été, un petit vent encore matinal, assez frais — un micro-climat m'avait prévenue Doris — dans ce couloir viticole entre le massif des Corbières et la Montagne noire.
Sa question a réveillé une envie toujours en sommeil… et j'ai fini par abandonner mon petit Lumix pour prendre mon téléphone et filmer.
Un film, quel qu'il soit, à condition d'y croire, comme une suite de décisions…
.… À vous de voir…
(2 octobre 2016)
II
With En Silence, we felt the tension of the camera and what it records but more so the way in which it attempts this itself become perhaps subject of the film.
Custom Guitars, correspondance, 6 avril 2025
Custom Guitars est un petit groupe berlinois (habitant à Berlin) qui à intégré En silence dans une programmation de films pour une séance unique (11 mai 2025, 20 h.).
J’ai été surprise par leur remarque : ce qui a été ressenti à la vision de En silence, c’est le travail de la caméra. Au point de le considérer comme le sujet même du film. C'est donc la technique qui est tout d'abord associée au feeling. Cela semble avoir été déterminant pour la sélection du film. Je n'en saurai pas davantage.
Mais il n'en fallait pas plus pour relancer mon intérêt concernant l'énigme propre à ce film. Cela m'oriente vers le néo-réalisme, version deleuzienne.
Commençons.
Gilles Deleuze, L'Image-temps, Minuit, 1985.
« Contre ceux qui définissaient le néo-réalisme italien par son contenu social, Bazin invoquait la nécessité de critères formels esthétiques. Il s’agissait selon lui d’une nouvelle forme de la réalité, supposée dispersive, elliptique, errante ou ballante, opérant par blocs, avec des liaisons délibérément faibles et des événements flottants. Le réel n’était plus représenté ou reproduit, mais « visé ». Au lieu de représenter un réel déjà déchiffré, le néo-réalisme visait un réel à déchiffrer, toujours ambigu ; c’est pourquoi le plan-séquence tendait à remplacer le montage des représentations. Le néo-réalisme inventait donc un nouveau type d’image, que Bazin proposait d’appeler l’« image-fait ». Cette thèse de Bazin était infiniment plus riche que celle qu’il combattait, et montrait que le néo-réalisme ne se limitait pas au contenu de ses premières manifestations. Mais les deux thèses avait en commun de poser le problème au niveau de la réalité : le néo-réalisme produisait un « plus de réalité », formel ou matériel. Nous ne sommes pas sûrs toutefois que le problème se pose ainsi au niveau du réel, forme ou contenu. N’est-ce pas plutôt au niveau du « mental », en termes de pensée ? Si l’ensemble des images-mouvements, perceptions, actions et affections, subissaient un tel bouleversement, n’était-ce pas d’abord parce qu’un nouvel élément faisait irruption, qui allait empêcher la perception de se prolonger en action pour la mettre en rapport avec la pensée, et, de proche en proche, allait subordonner l’image aux exigences de nouveaux signes qui la porteraient au-delà du mouvement ? » (p. 7-8)
« Dans le film de Visconti, on assiste à un changement très subtil, aux débuts d’une mutation concernant la notion générale de situation. Dans l’ancien réalisme ou suivant l’image-action, les objets et les milieux avaient déjà une réalité propre, mais c’était une réalité fonctionnelle, étroitement déterminée par les exigences de la situation, même si ces exigences étaient poétiques autant que dramatiques (par exemple la valeur émotionnelle des objets chez Kazan). La situation se prolongeait donc directement en action et passion. […] Dès Ossessione, au contraire, apparaît ce qui ne cessera de se développer chez Visconti : les objets et les milieux prennent une réalité matérielle autonome qui les fait valoir pour eux-mêmes. Il faut donc que non seulement le spectateur mais les protagonistes investissent les milieux et les objets par le regard, qu’ils voient et entendent les gens, pour que l’action ou la passion naissent, faisant irruption dans une vie quotidienne préexistante. […] Tout reste réel dans ce néo-réalisme (qu’il y ait décors ou extérieurs) mais, entre la réalité du milieu et celle de l’action, ce n’est plus un prolongement moteur qui s’établit, c’est plutôt un rapport onirique, par l’intermédiaire des organes des sens affranchis. On dirait que l’action flotte dans la situation, plus qu’elle ne l’achève ou ne la resserre. » (p. 11)
« Dans la banalité quotidienne, l’image-action et même l’image-mouvement tendent à disparaître au profit de situations optiques pures, mais celles-ci découvrent des liaisons d’un nouveau type, qui ne sont plus sensori-motrices, et qui mettent les sens affranchis dans un rapport direct avec le temps, avec la pensée. Tel est le prolongement très spécial de l'opsigne : rendre sensibles le temps, la pensée, les rendre visibles et sonores. » (p. 28-29)
« Une situation optique et sonore ne se prolonge pas en action, pas plus qu’elle n’est induite par une action. […] Ce peut être une situation-limite, l’éruption d’un volcan, mais aussi le plus banal, une simple usine, un terrain vague. […]
L’important, c’est toujours que le personnage ou le spectateur, et tous deux ensemble, deviennent visionnaires. La situation purement optique et sonore éveille une fonction de voyance, à la fois fantasme et constat, critique et compassion, tandis que les situations sensori-motrices, si violentes soient-elles, s’adressent à une fonction visuelle pragmatique qui “tolère” ou “supporte” à peu près n’importe quoi, du moment que c’est pris dans un système d’actions et réactions. […]
Les situations quotidiennes et même les situations-limites ne se signalent par rien de rare ou d’extraordinaire. Ce n’est qu’une île volcanique de pêcheurs pauvres. Ce n’est qu’une usine, une école… Nous côtoyons tout cela, même la mort, même les accidents, dans notre vie courante ou en vacances. Nous voyons, nous subissons plus ou moins une puissante organisation de la misère et de l’oppression. Et justement nous ne manquons pas de schèmes sensori-moteurs pour reconnaître de telles choses, les supporter ou les approuver, nous comporter en conséquence, compte tenu de notre situation, de nos capacités, de nos goûts. Nous avons des schèmes pour nous détourner quand c’est trop déplaisant, nous inspirer la résignation quand c’est horrible, nous faire assimiler quand c’est trop beau. Remarquons à cet égard que même les métaphores sont des esquives sensori-motrices, et nous inspirent quelque chose à dire quand on ne sait plus que faire : ce sont des schèmes particuliers, de nature affective. Or c’est cela, un cliché.
Un cliché, c’est une image sensori-motrice de la chose. Comme dit Bergson, nous ne percevons pas la chose ou l’image entière, nous en percevons toujours moins, nous ne percevons que ce que nous avons intérêt à percevoir, en raison de nos intérêts économiques, de nos croyances idéologiques, de nos exigences psychologiques. Nous ne percevons ordinairement que des clichés. Mais si nos schèmes sensori-moteurs s’enrayent ou se cassent, alors peut apparaître un autre type d’image : une image optique-sonore pure, l’image entière et sans métaphore, qui fait surgir la chose en elle-même, littéralement et dans son excès d’horreur ou de beauté, dans son caractère radical ou injustifiable, car elle n’a plus à être “justifiée”, en bien ou en mal… L’être de l’usine se lève, et l’on ne peut plus dire “il faut bien que les gens travaillent…” J’ai cru voir des condamnés : l’usine est une prison, l’école est une prison, littéralement et non métaphoriquement. On ne fait pas succéder l’image d’une prison à celle d’une école : ce serait seulement indiquer une ressemblance, un rapport confus entre deux images claires. Il faut au contraire découvrir les éléments et rapports distincts qui nous échappent au fond d’une image obscure : montrer en quoi et comment l’école est une prison, les grands ensembles, des prostitutions, les banquiers, des tueurs, les photographes, des escrocs, littéralement, sans métaphore. C’est la méthode du “Comment ça va” de Godard : ne pas se contenter de chercher si “ça va” ou si “ça ne vas pas” entre deux photos. Tel était le problème sur lequel se terminait notre précédente étude : arracher aux clichés une véritable image.
D’une part l’image ne cesse pas de tomber à l’état de cliché parce qu’elle s’insère dans des enchaînements sensori-moteurs, parce qu’elle organise ou induit elle-même ces enchaînements, parce que nous ne percevons jamais tout ce qu’il y a dans l’image, parce qu’elle est faite pour cela (pour que nous ne percevions pas tout, pour que le cliché nous cache l’image…). Civilisation de l’image ? En fait, c’est une civilisation du cliché où tous les pouvoirs ont intérêt à nous cacher les images, non pas à nous cacher forcément la même chose, mais à nous cacher quelque chose dans l’image. D’autre part, en même temps, l’image tente sans cesse de percer le cliché, de sortir du cliché. On ne sait pas jusqu’où peut conduire une véritable image : l’importance de devenir visionnaire ou voyant. Il ne suffit pas d’une prise de conscience ou d’un changement dans les coeurs (bien qu’il y ait de cela, comme dans le cœur de l’héroïne d’ Europe 51, mais, s’il n’y avait rien d’autre, tout retomberait vite à l’état de cliché, on aurait simplement ajouté d’autres clichés). Parfois, il faut restaurer les parties perdues, retrouver tout ce qu’on ne voit pas dans l’image, tout ce qu’on en a soustrait pour la rendre “intéressante”. Mais parfois au contraire il faut faire des trous, introduire des vides et des espaces blancs, raréfier l’image, en supprimer beaucoup de choses qu’on avait ajoutées pour nous faire croire qu’on voyait tout. Il faut diviser ou faire le vide pour retrouver l’entier.
Le difficile, c’est de savoir en quoi une image optique et sonore n’est pas elle-même un cliché, au mieux une photo. Nous ne pensons pas seulement à la manière dont ces images refournissent du cliché, dès qu’elles sont reprises par des auteurs qui s’en servent comme des formules. Mais les créateurs eux-mêmes n’ont-ils pas parfois l’idée que la nouvelle image doit rivaliser avec le cliché sur son propre terrain, enchérir sur la carte postale, en rajouter, la parodier, pour mieux s’en sortir (Robbe-Grillet, Daniel Schmid) ? Les créateurs inventent des cadrages obsédants, des espaces vides ou déconnectés, même des natures mortes : d’une certaine manière ils arrêtent le mouvement, redécouvrent la puissance du plan fixe, mais n’est-ce pas ressusciter le cliché qu’ils veulent combattre ? Il ne suffit certes pas, pour vaincre, de parodier le cliché, ni même de faire des trous et de la vider. Il ne suffit pas de perturber les liaisons sensori-motrices. Il faut joindre à l’image optique-sonore des forces immenses qui ne sont pas celles d’ une conscience simplement intellectuelle, ni même sociale, mais d’une profonde intuition vitale.
Les images optiques et sonores pures, le plan fixe et le montage-cut définissent bien un au-delà du mouvement. Mais ils ne l’arrêtent pas exactement, ni chez les personnages ni même dans la caméra. Ils font que le mouvement ne doit pas être perçu dans une image sensorielle mais saisi et pensé dans un autre type d’image. L’image-mouvement n’a pas disparu, mais n’existe plus que comme la première dimension d’une image qui ne cesse de croître en dimensions. Nous ne parlons pas des dimensions de l’espace, puisque l’image peut être plane, sans profondeur, et prendre par là d’autant plus de dimensions ou puissance excédant l’espace.
On peut indiquer sommairement trois de ces dimensions croissantes. D’abord, tandis que l’image-mouvement et ses signes sensori-moteurs n’étaient en rapport qu’avec une image indirecte du temps dépendant du montage, l’image optique et sonore pure, ses opsignes et ses sonsignes, se lient directement à une image-temps qui s’est subordonnée le mouvement. C’est ce mouvement qui fait, non plus du temps la mesure du mouvement, mais du mouvement la perspective du temps : il constitue tout un cinéma du temps, avec une nouvelle conception et de nouvelles formes de montage (Welles, Resnais).
En second lieu, en même temps que l’œil accède à une fonction de voyance, les éléments de l’image non seulement visuels, mais sonores, entrent dans des rapports internes qui font que l’image entière doit être “lue” non moins que vue, lisible autant que visible. Pour l’œil du voyant comme du devin, c’est la “littéralité” du monde sensible qui le constitue comme livre. Là encore, toute référence de l’image ou de la description à un objet supposé indépendant ne disparaît pas, mais se subordonne maintenant aux éléments et rapports intérieurs qui tendent à remplacer l’objet, à l’effacer à mesure qu’il apparaît, le déplaçant toujours. La formule de Godard “ce n’est pas du sang, c’est du rouge” cesse d’être uniquement picturale, et prend un sens propre au cinéma. Le cinéma va constituer une analytique de l’image, impliquant une nouvelle conception du découpage, toute une “pédagogie” qui s’exercera de différentes manières, par exemple dans l’œuvre d’Ozu, dans la dernière période de Rossellini, dans la période moyenne de Godard, chez les Straub.
Enfin, la fixité de la caméra ne représente pas la seule alternative avec le mouvement.Même mobile, la caméra ne se contente plus tantôt de suivre les personnages, tantôt d’opérer elle-même des mouvements dont ils ne sont que l’objet, mais dans tous les cas elle subordonne la description d’un espace à des fonctions de la pensée.
Ce n’est pas la simple distinction du subjectif et de l’objectif, du réel et de l’imaginaire, c’est au contraire leur indiscernabilité qui va doter la caméra d’un riche ensemble de fonctions, et entraîner une nouvelle conception du cadre et des recadrages. S’accomplira le pressentiment d’Hitchcock : une conscience-caméra qui ne se définirait plus par les mouvement qu’elle est capable de suivre ou d’accomplir, mais par les relations mentales dans lesquelles elle est capable d’entrer. Et elle devient questionante, répondante, objectante, provocante, théorématisante, hypothétisante, expérimentante, suivant la liste ouverte des conjonctions logiques (« ou », « donc », « si », « car », « en effet », « bien que »…), ou suivant les fonctions de pensée d’un cinéma-vérité qui, comme dit Rouch, signifie plutôt vérité du cinéma.
Tel est le triple renversement qui définit un au-delà du mouvement.
Il fallait que l’image se libère des liens sensori-moteurs, qu’elle cesse d’être image-action pour devenir une image optique, sonore (et tactile) pure. Mais celle-ci ne suffisait pas : il fallait qu’elle entre avec d’autres forces encore, pour échapper elle-même au monde des clichés. Il fallait qu’elle s’ouvre sur des révélations puissantes et directes, celles de l’image-temps, de l’image lisible et de l’image pensante. C’est ainsi que les opsignes et sonsignes renvoient à des “chronosignes”, des “lectosignes” et des “noosignes”.
S’interrogeant sur l’évolution du néo-réalisme à propos du Cri, Antonioni disait qu’il tendait à se passer de bicyclette — bien sûr la bicyclette de De Sica. Ce néo-réalisme sans bicyclette remplace la dernière quête de mouvement (la ballade) par un poids spécifique du temps s’exerçant à l’intérieur des personnages. L’art d’Antonioni est comme l’entrelacement de conséquences, de suites et d’effets temporels qui découlent d’événements hors-champ. Déjà, dans Chronique d’un amour, l’enquête a pour conséquence de provoquer elle-même la suite d’un premier amour, et pour effet de faire résonner deux souhaits de meurtre, au futur et au passé. C’est tout un monde de chronosignes, qui suffirait à faire douter de la fausse évidence selon laquelle l’image cinématographique est nécessairement au présent. Si nous sommes malades d’Eros, disait Antonioni, c’est parce qu’Eros est lui-même malade ; il est malade non pas simplement parce qu’il est vieux ou périmé dans son contenu, mais parce qu’il est pris dans la forme pure d’un temps qui se déchire entre un passé déjà terminé et un futur sansn issue. Pour Antonioni, il n’y a pas d’autre maladie que chronique, Chronos est la maladie même. C’est pourquoi les chronosignes ne sont pas séparables de lectosignes, qui nous forcent à lire dans l’image autant de symptômes, c’est-à-dire à traiter l’image optique et sonore comme quelque chose de lisible aussi. Non seulement l’optique et le sonore, mais le présent et le passé, l’ici et l’ailleurs, constituent des éléments et des rapports intérieurs qui doivent être déchiffrés, et ne peuvent être compris que dans une progression analogue à celle d’une lecture : dès Chronique d’un amour, des espaces indéterminés ne reçoivent leur échelle que plus tard, dans ce que Burch appelle un “raccord à appréhension décalée” plus proche d’une lecture que d’une perception. Et, ensuite, Antonioni coloriste saura traiter les variations de couleurs comme des symptômes, et la monochromie, comme le signe chronique qui gagne un monde, grâce à tout un jeu de modifications délibérées. Mais déjà Chronique d’un amour manifeste une “autonomie de la caméra”, quand elle renonce à suivre le mouvement des personnages ou à faire porter sur eux son propre mouvement, pour opérer constamment des recadrages comme fonctions de pensée, noosignes exprimant les conjonctions logiques de suite, de conséquence ou même d’intention.
(à suivre… Maj 19 août 2025)
Ouvrir le cinéma