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Annick Bouleau

Publié dans Alain Bergala, Jacques Déniel, Patrick Leboutte, Une Encyclopédie du nu au cinéma, Editions Yellow now, 1994, p. 393-394. [« Ventre » en version PDF]

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« C’est étonnant elle n’a pas de ventre… » Situation paradoxale : un élément du corps qui, dans les mots, prouve son existence par sa non-existence. En fait, cela arrive à toutes les cavités de notre anatomie : on peut aussi ne pas avoir de tête, ni même de cœur. Quand on n’a pas de main, on est manchot, quand on n’a pas de jambes, on est cul-de-jatte. Mais une main est toujours une main, un pied, un pied. Notre corps sous le règne de l’inégalité ou de la tautologie. On peut — à la rigueur — ne rien avoir dans le ventre — et cela concerne en général les hommes, mais c’est un défaut moral et une image. Une femme, elle, doit tantôt en avoir, tantôt ne pas en avoir. Et là, c’est du réel. Même au cinéma.
Pour Hélène, le personnage de Borderline (Danièle Dubroux, 1991), l’histoire embraye à partir de cette photo ordinaire fixée au bord d’un miroir chez son amant Julien, fils de son ex-amant Charles. Une pin-up en bikini — à une époque où la mode estivale fait la part belle à cet espace de peau reliant les seins au pubis — qu’il affirme être sa mère et qui s’affiche avec un ventre plat au mois de mai, alors qu’il est né au mois d’août. « Ça ne m’étonne pas d’elle », répond le fils, indulgent. Mais on ne peut pas engendrer sans avoir un ventre ; cette pin-up est sommée d’avoir du ventre. Ou bien ce fils vient d’un autre ventre…
Il futuro è donna (Le futur est femme, Marco Ferreri, 1984) : Malvina y a un très gros ventre qu’elle traîne dans les boîtes de nuit d’une vague Italie. Mais Ornella Muti aussi a un ventre : Ferreri nous le prouve. Un ventre énorme mis à nu et en évidence par la lingerie de dentelle noire. Une boule qui prend tellement de place à l’écran et dans nos imaginaires que les gros plans du visage-tête de Malvina-Ornella vont paraître étranges et déplacés. Dans le film de Ferreri, c’est son ventre qui l’identifie : quand on voit son visage, on ne la reconnaît pas : ce n’est pas qu’il ne lui ressemble pas, mais s’y inscrit un manque, une perte, un défaut, une absence qui nous trouble, nous angoisse et nous déçoit, aussi. Dans la vie, Ornella Muti joue beaucoup la dialectique de son visage et de son ventre. Elle a toujours associé ses grossesses à sa carrière et à son image d’actrice : si belle qu’elle peut se permettre d’avoir du ventre et transgresser ce scandale.
Scandaleusement enceinte. Ingrid Bergman en a su quelque chose. Non seulement, elle a accepté de se traîner sur la lave du Stromboli mais elle a couru le risque d’offrir l’image d’une actrice hollywoodienne aux lignes peut-être imparfaites. La presse a traqué sur les photogrammes les traces du « délit ». Nombres d’actrices l’ont certes payé moins cher mais leurs décisions secrètes se sont forcément inscrites sous le double sceau du risque et du désir, entre les deux pôles de la peur et de la perte : perdre le rôle, peur de l’enfant ; peur du rôle, perdre l’enfant.

 

 

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