le_carnet_des_lecteurs

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annick [Pierre Johan Laffitte]
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 Ce faisant, tu crées des possibilités de bifurcation,​ tu crées un dispositif :​ ensuite, à chacun de cheminer, et donc de laisser se faire les possibilités d’agencement qui sont forcément singulières (là, on est plutôt dans Deleuze et Guattari, autant dans //Logique du sens// que dans //Mille Plateaux//​). Ton texte se « dispose au sens » (c’est une expression à moi), mais le sens, lui, reste toujours dans la sous-jacence et n’existe qu’à l’état de la lecture.\\ ​ Ce faisant, tu crées des possibilités de bifurcation,​ tu crées un dispositif :​ ensuite, à chacun de cheminer, et donc de laisser se faire les possibilités d’agencement qui sont forcément singulières (là, on est plutôt dans Deleuze et Guattari, autant dans //Logique du sens// que dans //Mille Plateaux//​). Ton texte se « dispose au sens » (c’est une expression à moi), mais le sens, lui, reste toujours dans la sous-jacence et n’existe qu’à l’état de la lecture.\\ ​
-La lecture de ton œuvre est impossible comme //une//: elle est pas-toute, elle est renoncement à tout connaître, en cela elle n’est pas fiction mais discours, pas récit mais cartographie,​ comme ces plans de ville qui ne doivent être que les occasions d’emprunter les passages et de temps en temps se repérer quand on est « saturé » de l’expérience du passage et qu’on souhaite sortir de l’immanence des carrefours, pour souffler, en attendant de retourner s’y plonger un jour. C’est tout cela, la richesse du contingent :​ comme dit Deligny, un milieu est riche quand chacun y trouve chaussure à son pied.\\ ​+La lecture de ton œuvre est impossible comme //une// : elle est pas-toute, elle est renoncement à tout connaître, en cela elle n’est pas fiction mais discours, pas récit mais cartographie,​ comme ces plans de ville qui ne doivent être que les occasions d’emprunter les passages et de temps en temps se repérer quand on est « saturé » de l’expérience du passage et qu’on souhaite sortir de l’immanence des carrefours, pour souffler, en attendant de retourner s’y plonger un jour. C’est tout cela, la richesse du contingent :​ comme dit Deligny, un milieu est riche quand chacun y trouve chaussure à son pied.\\ ​
 Dans ce dispositif, le ruban est fondamental ;​ et ce qui dans ce ruban fait fonction de déroulement,​ mais surtout de passage, c’est à mon avis l’unité du « ruban de Moebius »,​ justement (l’as-tu cité ? Si non, je présume qu’il n’était pas bien loin) : on finit, comme l’illusion face à l’écran de cinéma, par ne plus voir chaque photogramme,​ ni les petites trouées crantées sur le côté, ni leur direction verticale, mais une seule image : saoulés, emportés de façon ordinaire, on est dans l’illusion plus réelle que tout d’un mouvement à travers une fenêtre : nous regardons un tableau de vie). Dans ce dispositif, le ruban est fondamental ;​ et ce qui dans ce ruban fait fonction de déroulement,​ mais surtout de passage, c’est à mon avis l’unité du « ruban de Moebius »,​ justement (l’as-tu cité ? Si non, je présume qu’il n’était pas bien loin) : on finit, comme l’illusion face à l’écran de cinéma, par ne plus voir chaque photogramme,​ ni les petites trouées crantées sur le côté, ni leur direction verticale, mais une seule image : saoulés, emportés de façon ordinaire, on est dans l’illusion plus réelle que tout d’un mouvement à travers une fenêtre : nous regardons un tableau de vie).
  
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 Ensuite, ton allusion au scribe, tu pardonneras le « balatien » invétéré que je suis, n’a pas pu ne pas me faire associer sur toute la dimension sémiotique,​ mais peircienne cette fois, de ton œuvre. Pour le dire grossièrement,​ si on voulait expliquer ce qu’est la conception du signe selon Peirce-Balat,​ ton ouvrage serait exemplaire.\\ ​ Ensuite, ton allusion au scribe, tu pardonneras le « balatien » invétéré que je suis, n’a pas pu ne pas me faire associer sur toute la dimension sémiotique,​ mais peircienne cette fois, de ton œuvre. Pour le dire grossièrement,​ si on voulait expliquer ce qu’est la conception du signe selon Peirce-Balat,​ ton ouvrage serait exemplaire.\\ ​
-Quand tu évoques ta tapée des citations qui fait de toi une fonction scribe, tu parles du fait que tu tapes sans regarder (ça me dit des choses, même si elles sont un peu différentes :​ j’ai longtemps commencé tous mes petits matins par de la « recopie » de Proust, de Camus, de la même façon, sans regarder mon clavier, seulement le blanc cassé des pages lues, aimées, repérées). Le scribe, c’est celui qui inscrit sans se soucier de ce qu’il inscrit. Et c’est ça qui vient en premier. L’importance de ce moment, c’est que cela //​présente//​ la matière sans laquelle il n’y aurait rien. Le scribe inscrit le « représentement ». Car ton objet, //ce dont// parle ton livre, ne lui préexiste pas, Ton livre est une fonction, et elle aurait plus continuer longtemps encore (Attention, pas continuer n’importe comment : c’est là que la fonction et la décision, esthétiques toutes deux, jouent leur rôle dans l’agencement que toi, créatrice, impose au commencement de ce dispositif :​ car tout de même, il y a bel et bien un point zéro par où se départ la non-existence de ton aire livresque de son existence matérielle — c’est cela qui fait de toi, de la fonction que tu mets en œuvre dans ta lecture et recopie, la fonction scribe. Bien sûr, cette aire ensuite n’existera pleinement, réellement,​ que sous la forme effective, active, pragmatique,​ de sa prise en main par d’autres sujets qui, eux, seront libres de faire leur propre tambouille, mais avec les 4977 fragments ou des brouettes que tu leur proposes : c’est cela aussi, ce que j’appelle « disposition au sens ».)+Quand tu évoques ta tapée des citations qui fait de toi une fonction scribe, tu parles du fait que tu tapes sans regarder (ça me dit des choses, même si elles sont un peu différentes :​ j’ai longtemps commencé tous mes petits matins par de la « recopie » de Proust, de Camus, de la même façon, sans regarder mon clavier, seulement le blanc cassé des pages lues, aimées, repérées). Le scribe, c’est celui qui inscrit sans se soucier de ce qu’il inscrit. Et c’est ça qui vient en premier. L’importance de ce moment, c’est que cela //​présente//​ la matière sans laquelle il n’y aurait rien. Le scribe inscrit le //​représentement//​. Car ton objet, //ce dont// parle ton livre, ne lui préexiste pas, Ton livre est une fonction, et elle aurait plus continuer longtemps encore (Attention, pas continuer n’importe comment : c’est là que la fonction et la décision, esthétiques toutes deux, jouent leur rôle dans l’agencement que toi, créatrice, impose au commencement de ce dispositif :​ car tout de même, il y a bel et bien un point zéro par où se départ la non-existence de ton aire livresque de son existence matérielle — c’est cela qui fait de toi, de la fonction que tu mets en œuvre dans ta lecture et recopie, la fonction scribe. Bien sûr, cette aire ensuite n’existera pleinement, réellement,​ que sous la forme effective, active, pragmatique,​ de sa prise en main par d’autres sujets qui, eux, seront libres de faire leur propre tambouille, mais avec les 4977 fragments ou des brouettes que tu leur proposes : c’est cela aussi, ce que j’appelle « disposition au sens ».)
  
 Paradoxalement,​ l’existence d’un signe ou d’un ensemble de signes, en tant que représentement,​ précède l’objet dont parle ce signe. Si tu n’étais pas avant tout le scribe aveugle qui transcrit, rien de ce qui est là au fur et à mesure n’émergerait à régime d’art. Sémiotiquement,​ il n’y a pas de transitivité de l’œuvre d’art, une œuvre ne parle pas « de quelque chose » au sens où cette chose la précèderait ontologiquement ; cette chose qui correspond exactement à l’œuvre produite, autrement dit son « objet »,​ elle est exactement contemporaine du tracé qui la dispose à la réception. Je dirais même qu’elle « ouvre » à l’infinie variété, ensuite, des constructions de ton œuvre à régime de sens. Bien sûr, ton livre est plus clairement exemplaire de cette approche que, disons, un récit fictionnel à l’unité bien cadenassée,​ type polar ; mais au fond, toute œuvre d’art, en tant qu’œuvre d’art, c’est-à-dire en tant que « lieu commun visitable singulièrement par une infinité a priori de sujets », permet cette répétition qui jamais ne lasse, et jamais n’est exactement la même. Paradoxalement,​ l’existence d’un signe ou d’un ensemble de signes, en tant que représentement,​ précède l’objet dont parle ce signe. Si tu n’étais pas avant tout le scribe aveugle qui transcrit, rien de ce qui est là au fur et à mesure n’émergerait à régime d’art. Sémiotiquement,​ il n’y a pas de transitivité de l’œuvre d’art, une œuvre ne parle pas « de quelque chose » au sens où cette chose la précèderait ontologiquement ; cette chose qui correspond exactement à l’œuvre produite, autrement dit son « objet »,​ elle est exactement contemporaine du tracé qui la dispose à la réception. Je dirais même qu’elle « ouvre » à l’infinie variété, ensuite, des constructions de ton œuvre à régime de sens. Bien sûr, ton livre est plus clairement exemplaire de cette approche que, disons, un récit fictionnel à l’unité bien cadenassée,​ type polar ; mais au fond, toute œuvre d’art, en tant qu’œuvre d’art, c’est-à-dire en tant que « lieu commun visitable singulièrement par une infinité a priori de sujets », permet cette répétition qui jamais ne lasse, et jamais n’est exactement la même.
  
 Que permets-tu, par l’activité de scribe ? La présence d’un musement : le musement, c’est cela, l’objet réel de ton livre. La traînée téléotique et abductive au travers des traces, qui actualise, réalise, qui sait parfois vérifie, la possibilité de cheminements d’autant plus variés que l’œuvre est //ouverte// — mais cela se vérifie même si ces cheminements sont toujours les mêmes, et si l’œuvre est tout à fait //​classique//,​ voire banale, par ailleurs : on peut revoir vingt fois un même film par bonheur, avec profondeur, sans qu’apparemment « rien de plus » n’apparaisse :​ le simple et le //pauvre// ne sont pas incompatibles avec le retour désirant devant l’œuvre. En ce sens, l’objet de ton livre se trouve en aval de son inscription. Bien sûr, cela ne veut pas dire que ton livre « parle pour parler », « ne parle de rien » : bien sûr qu’il y a un objet de départ, et c’est toute votre alchimie fonctionnelle avec ton complice graphiste que de l’avoir fait émerger puis se saisir en une forme. Mais il  y a plusieurs objets à l’œuvre :​ certains sont déjà là, fixes ; d’autres sont réels, bougent ; un autre, enfin, peut même être dire « cause » (= cosa, chose…), c’est celui qui se révèle, toujours après coup, quand le sujet découvre ce qui faisait promesse toujours plus vive au fur et à mesure de son commerce avec les signes (ce commerce, c’est autant la lecture, que son écriture :​ tu n’es pas que scribe, //pendant que// tu faisais le scribe, ça s’inscrivait devant tes yeux et dans ta « machinerie du dire », quelque chose cessait enfin de ne pas s’écrire,​ et ça bien sûr, ça n’est qu’après qu’on s’en rend compte : « on pige pendant, on ne sait qu’après » (ça, c’est de René Laffitte — un autre qui savait ce que c’est qu’écrire…). Que permets-tu, par l’activité de scribe ? La présence d’un musement : le musement, c’est cela, l’objet réel de ton livre. La traînée téléotique et abductive au travers des traces, qui actualise, réalise, qui sait parfois vérifie, la possibilité de cheminements d’autant plus variés que l’œuvre est //ouverte// — mais cela se vérifie même si ces cheminements sont toujours les mêmes, et si l’œuvre est tout à fait //​classique//,​ voire banale, par ailleurs : on peut revoir vingt fois un même film par bonheur, avec profondeur, sans qu’apparemment « rien de plus » n’apparaisse :​ le simple et le //pauvre// ne sont pas incompatibles avec le retour désirant devant l’œuvre. En ce sens, l’objet de ton livre se trouve en aval de son inscription. Bien sûr, cela ne veut pas dire que ton livre « parle pour parler », « ne parle de rien » : bien sûr qu’il y a un objet de départ, et c’est toute votre alchimie fonctionnelle avec ton complice graphiste que de l’avoir fait émerger puis se saisir en une forme. Mais il  y a plusieurs objets à l’œuvre :​ certains sont déjà là, fixes ; d’autres sont réels, bougent ; un autre, enfin, peut même être dire « cause » (= cosa, chose…), c’est celui qui se révèle, toujours après coup, quand le sujet découvre ce qui faisait promesse toujours plus vive au fur et à mesure de son commerce avec les signes (ce commerce, c’est autant la lecture, que son écriture :​ tu n’es pas que scribe, //pendant que// tu faisais le scribe, ça s’inscrivait devant tes yeux et dans ta « machinerie du dire », quelque chose cessait enfin de ne pas s’écrire,​ et ça bien sûr, ça n’est qu’après qu’on s’en rend compte : « on pige pendant, on ne sait qu’après » (ça, c’est de René Laffitte — un autre qui savait ce que c’est qu’écrire…).
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 +Bien sûr, pour faire le prof, je précise que le lien entre le //​représentement//​ et le //​musement//,​ c’est la fonction d’interprétant qui l’assure. Mais là, on est déjà dans des terrains plus connus.
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