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passage du cinéma, 4992 : le carnet des lecteurs
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Chère Annick Bouleau,
Amitié
Le 12 décembre 1997.
Salut Annick !
Je me suis engagé dans cette lecture comme le professeur Nimbus débarqué sur une autre planète. J'avais quelques souvenirs d'enfant de mes premières visites au cinéma de quartier avec mon « grand frère » : le musicien qui jouait du piano pendant l'entracte, les pochettes surprises et l'effrayant « homme invisible » dont on ne voyait que la fumée de la cigarette ou la marque des pas dans la neige.
J'ai essayé de me frayer un chemin dans le labyrinthe des rubriques et je ramassais, chemin faisant, des cailloux pour ne pas me perdre. Souvent j'étais tenté de faire l'école buissonnière en empruntant les sentiers de traverses que tu offres par les renvois à d'autres rubriques. Ce n'était jamais ennuyeux car les histoires cocasses ne manquent pas (le président Lebrun embarrassé par son haut de forme ou le président Clémenceau piégé par la caméra cachée, etc…) ni oppressant car les citations sont généralement courtes et donc ne requièrent pas pas une longue attention soutenue.
Chemin faisant la récolte est riche, on y trouve l'histoire du « cinématographe », depuis ses origines, le profil de carrière et les méthodes de travail des réalisateurs les plus connus, l'évolution des techniques, le poids des contraintes financières, les interventions des pouvoirs étatiques, etc. etc.
Au terme de cette lecture j'ai ramassé mes cailloux et je me suis reconstitué mon petit cinéma à moi. De sorte que ton travail s'inscrit dans le droit fil d'une pédagogie « interactive » qui oblige le lecteur à réinventer en quelque sorte le fil à couper le beurre.
Voilà résumé ce que j'ai cru comprendre :
Au départ, il y a une invention qui n'a pas encore de nom au moment du brevet : c'est l'enfant du théâtre et de la photographie, empruntant au théâtre ses acteurs, ses sujets et au photographe l'art des images, les faisant parler pour raconter des histoires. Les débuts sont modestes (le chocolat Poulain offre les billets de cinéma en prime, les cafetiers utilisent en été le film pour attirer des clients jusqu'à ce qu'une taxe de voirie redonne au 7e art ses quartiers de noblesse…).
Tu indiques aussi les rapports du cinéma et de la peinture avec des citations de Léonard de Vinci, des références à Degas pour montrer les ressemblances et les différences. Renoir, fils de peintre apparaît souvent 1) car il a sans doute mieux que quiconque tenté de donner à l'image une signification qui dépasse l'objet. Il s'insurge contre le réalisme conçu comme simple documentation.
L'évolution des techniques a chaque fois simplifié, amplifié les possibilités du cinéma (Tessar 3/5, Eastmancolor qui permet de travailler la nuit sans lumière artificielle, les pellicules qui ne provoquent plus des incendies) avec ces tournants qu'ont été le parlant et la couleur. Chaque technique nouvelle impose aussi ses servitudes — Tenir compte que l'obscurité d'une salle de projection renforce la couleur — Contrôler la vitesse qui influe sur le son, etc. et tous parmi les artistes n'ont pas gagné à cette évolution (comme Charlie Chaplin qui s'exprimait avec ses jambes et sa canne au temps du muet).
Les vraies ruptures ne sont pas dans les techniques mais dans la manière de concevoir le réel et le style que chaque créateur a apporté grâce à ces procédés nouveaux.
Donc, « au commencement était le verbe » — le sujet inspiré par un fait divers ou adapté d'un roman ou du théâtre (ce qui donne une certaine sécurité au commanditaire lorsque le livre a eu du succès), donne naissance au scénario lui-même découpé en dialogues. Certains réalisateurs font appel au scénariste. Les créateurs de la Nouvelle Vague préfèrent écrire le scénario et improvisent les dialogues sur le plateau. Le cinéma étant beaucoup plus libre à cet égard que le théâtre où l'acteur est tenu par son texte et doit l'apprendre par coeur. Aux États-Unis on a vu même le scénario s'élaborer en groupe — chacun apportant ses idées — ce qui pose le problème de l'auteur du film. La SAF a eu à définir certaines règles.
Incontestablement c'est le réalisateur ou metteur en scène qui joue le rôle d'un chef d'orchestre — choisit le sujet, recrute les artistes, fixe le cadre, le rythme, dirige le jeu des artistes, procède au découpage, au montage, etc. Mais seul il n'est rien, sans l'opérateur qui sait enjoliver ou enlaidir un visage, sans l'acteur qui, par ce qu'il est exprime 2) beaucoup plus que par ce qu'il dit, polarise l'intérêt du spectateur. Un travail collectif basé sur des relations de confiance. Le cinéma reproduit ce qu'est la vie : cette interdépendance des cellules qui n'existent que reliées aux autres cellules.
De même, ce monde du cinéma n'est pas isolé d'un ensemble plus vaste qui lui impose ses contraintes et d'abord celle de l'argent. Aux États-Unis, la production est aux mains des grandes firmes de distribution, en France, il faut recourir aux banques, ce qui impose de faire un film à l'économie. On a recourt à la location (pour les costumes, etc.), on réduit les voyages coûteux mais pour les extérieurs on reste à la merci des aléas du temps (les dépassements dûs aux jours de pluie, etc.).
L'industrie du film aus U.S. est calquée sur la production automobile avec une décomposition des tâches qui ligote la prise de vue par un programme précis préétabli.
L'État peut apporter son aide à la création, mais exerce aussi un droit de censure s'il ne se substitue pas entièrement aux producteurs comme ce fut le cas dans l'Allemagne nazie avec un Reichofilmintendant qui décidait de l'affectation des acteurs. C'est aussi sous Vichy que la profession est « organisée » : 1940, Chambre syndicale du film ; 1942, Comité d'organisation; 1943, IDHEC.
Les juifs interdits de cinéma (8 avril 1942) apparaît deux fois : p. 266 et 265.
Le rôle de l'État peut être positif lorsqu'il cherche à protéger le marché national de la concurrence étrangère. Le poids du dispositif américain se mesure au nombre de salles, et donc des recettes, comparé à la situation en France, ce qui rend l'amortissement d'un film beaucoup plus facile pour les américains.
Le doublage des films étrangers a été aussi vivement (mot illisible) comme un envahissement — « un coup d'épée dans le dos ». De sorte que le protectionnisme a été mis en place dès 1917 avec la nécessité d'obtenir du ministre du commerce une autorisation d'importation. La rubrique « Gatt » (1947) détaille le contentieux franco-américain. Très tôt aussi est apparu l'idée d'un film « européen », avec la Svenska, en 1927.
Cependant on n'évite pas la mondialisation car c'est le couronnement d'un bon film d'être vu simultanément à Paris, Tokyo, New York, Berlin, etc… À cet égard le film a un avantage sur la télé parce qu'il a franchi l'obstacle de la langue.
Que devient le public sollicité désormais par la télévision généralisée ? Les directeurs de salles ont dû s'adapter tout au long des années. On est passé de la salle de quartier où il n'est pas nécessaire de s'habiller et « on n'est pas vu », aux grandes salles comme le Gaumont-Palace (1911), Rex (1932) — que j'ai admiré à l'époque —, puis le grand écran, pour revenir aux petites salles offrant dans un même cinéma, plusieurs films (comme à Périgueux où je n'ai qu'un cinéma et dix salles).
En réalité, il n'y a pas un seul public. On a tenté d'attirer les connaisseurs dans les salles d'art et d'essai — mais cela n'a été durable (trop coûteux) que dans les très grandes villes. On a tenté aussi de former le public par les ciné-clubs créés par G. Sadoul après la Libération (100 000 adhérents en 1946). Annick Bouleau cherche a initier les élèves des écoles à la compréhension du cinéma, à la prise de vue et à l'analyse de films qui ont droit de cité dans la culture tout autant que les oeuvres littéraires. Elle ouvre un chemin.
Il est difficile de réfléchir sur l'avenir du cinéma, dans le contexte des multimedias. Les cinémathèques serviront-elles finalement d'archives pour les besoins de ces multimedias ? Il est impossible de prédire l'avenir parce que toutes les découvertes, comme dans les sciences exactes, reposent sur l'aventure récompensée de ceux qui ont accepté de prendre des risques et de plonger dans le vide comme Rossellini qui a vendu ses meubles pour réaliser Rome, ville ouverteen réaction contre le film officiel et a inauguré la vague néo-réaliste.
Le débat sur la réalité. Le réalisme traverse comme un leitmotiv ton ouvrage. Chaque créateur l'appréhende en fonction de ce qu'il est. Quand je pense à moi-même je constate que j'ai en permanence un film qui défile avec mes pensées, mes réactions aux stress, aux émotions, et quand je dors le film continue avec les rêves. Je suis dans une autre réalité. Le film ne s'arrête que si je bloque le mental. On peut alors découvrir un autre niveau de conscience qui tend à diluer les objets et la personne dans une globalité. La drogue doit produire un effet, je crois, similaire. C'est le danger des techniques de méditation à la mode qui sous prétexte de nier l'ego risquent de détruire ce qui structure la personnalité et lui permet d'exister en tant qu'être libre. (D'où le danger des sectes. Tu vois, je continue mes réflexions grâce à toi).
Tu m'excuseras de t'imposer cette lecture. Je voulais simplement te prouver que je t'ai lu avec beaucoup d'attention et de sympathie.
Si je peux t'aider, je n'ai évidemment pas de critiques à faire, mais quelques suggestions :
Je te signale une coquille à rectifier : Führer orthographe exacte, p. 207.
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affectueusement
Basile
Paris, le 29 août 2003
Chère Madame,
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